jainas: (denial)
jainas ([personal profile] jainas) wrote2013-06-08 12:03 am

White Collar - Coup de Soleil - Bingo-fr (2/2)

Première partie

-


Le reste du trajet jusqu’au port de plaisance de Providence se fait dans le silence. De Krusen est inconfortablement menotté à l’une des poignées extérieurs de la cabine par la fenêtre entrouverte, et lorsque le camion se gare devant le bâtiment des gardes-côtes où les attendent Jones et un panier à salade, le jeune agent leur adresse un haussement de sourcil incrédule.
Le cirque de paperasserie qui s’en suit à de quoi lessiver même le plus aguerrit des grattes papiers : entre sa discussion avec les gardes-côtes qui veulent savoir exactement où à coulé le yacht, le scan et l’envoi au bureau de New York des papiers récupérés par Neal afin de lancer la demande de mandat de perquisition, et la prise de déposition de Bobby pour pouvoir ajouter l’agression contre son consultant à la liste des charges pesant sur De Krusen, il se passe bien une heure et demi avant qu’ils soient finalement libre de se traîner jusqu’à l'hôtel.... Et encore, ils laissent à Jones le soin de régler les derniers points et la liaison avec la police locale qui a pris leur prisonnier en charge pour l’instant.
« Ho, une dernière question », appelle ce dernier dans leur dos à l’instant où ils font mine de tourner les talons.
« Quoi ?
- Caffrey, tu es à jour dans tes vaccins antirabiques ?
- Haha, très drôle Jones. Ce ne serait pas plutôt à Peter que tu devrais poser la question ? Satchmo est un vrai fauve, tu sais...
- Hé, ne le prends pas comme ça... Et ne t’inquiètes pas, Hannibal est sous les barreaux. »
Neal soupire de manière grandiloquente, et Peter ne peut dissimuler un sourire amusé.
« Soyons clairs : quand j’ai dit cinq ou six mois sauf incident qui détourne l’attention de l’équipe sur une nouvelle cible, ce n’était en aucun cas une invitation à monter de toutes pièces une diversion.
- Même si tu ne peux rien prouver ? »
Ils plaisantent ainsi jusqu’au lobby de l'hôtel où le Bureau les a logés pour la durée de l'enquête. Le réceptionniste les regarde de travers - il faut dire qu’ils doivent faire sacrément tâche, entre leurs costumes boueux, leurs coups de soleil naissants et le visage de Neal dont la meurtrissure commence déjà à prendre des couleurs d’aurore boréale... Mais il leur tend malgré tout les clés sans mot dire, et tandis que le jeune homme appelle l’ascenseur, Peter passe commande au comptoir.
En tant qu’agent senior, il a droit au luxe décadent que représente une chambre individuelle, tandis que Jones et Neal en sont réduits à partager la seconde - réduction des budgets oblige. Le temps qu’il ait pris sa douche et mis de côté ses vêtements souillés avec le maigre espoir qu’ils soient récupérables, le service d’étage a déposé sur son lit les éléments qu’il a demandés.
« Entre », appelle Neal quand il frappe à la porte de la chambre qui fait face à la sienne, de l’autre côté du couloir.
Ses cheveux sont encore humides de la douche et il porte simplement un débardeur blanc et un pantalon léger. Il a fait bonne figure tout l’après-midi et allègrement charmé les membres féminins des gardes-côtes malgré le handicap certain de son visage en train de gonfler, mais à présent qu’ils sont seuls, il a simplement l’air fatigué et un peu KO. Quand il voit ce que Peter à dans les mains, il hausse les sourcils mais ne dit rien, se contente de refermer la porte derrière lui.
« Tu t’es réhydraté ? Coca de préférence...
- Oui, chef. » Neal désigne les deux canettes vides posées sur le mini-frigo calé dans un angle de la pièce.
« Très bien. Mets ça sur ta joue », il lance le sachet de glaçons entouré d’un gant de toilette et la boite d’analgésiques qu’il a demandé à la réception en direction de Neal qui les rattrape au vol sans protester, « et prend un Tylenol, je m’occupe de la Biafine. Tu as de la chance qu’Elisabeth en mette d’autorité dans mon sac à chaque fois que je descends vers le Sud... Tu t’es chopé un sacré coup de soleil. »
Neal le laisse appliquer la crème blanche sur ses avant-bras et les méplats de son visage qui ne sont pas couverts par la glace, sur la base de sa nuque où une ligne d’un rouge agressif marque la limite de son col. Sa peau semble brûlante sous les doigts de Peter.
Quand il ne reste plus rien à faire d’autre que se laver les mains et attendre un bon quart d’heure que la Biafine fasse effet, il attrape la télécommande et fait mine d’allumer la télé, avant de renoncer et de la reposer sur le chevet. S’assoit sur le couvre-lit vert olive du lit choisi par Jones, face à Neal qui contemple le vide d’un air pensif, oeil gauche presque dissimulé sous sa compresse.
Le sujet de conversation évident est le bouclage de l’affaire des Rodins, avec en prime quelques mauvais jeux de mots sur les dents et/ou les morsures pour faire bonne mesure...
Mais à la place Peter observe Neal. Personne ne peut avoir l’air sérieux ou sexy à demi recouvert de Biafine, et ainsi, dépouillé de l’armure de son costume et du charme facile qui est comme une seconde peau pour lui, le jeune homme a l’air étrangement approchable. Aux endroits où la crème a été appliquée avec moins d’épaisseur, elle est déjà presque absorbée par la peau et les contours de la morsure sont visibles. Sa vue ravive la colère de Peter et cet étrange sentiment possessif qui couve depuis que De Krusen a attaqué Neal... Il songe aux cinq ou six mois prédits de références et de plaisanteries sur le sujet, et sent se quelque chose se contracter dans le creux de son estomac, parce que selon toute vraisemblance il n’aura pas ce temps-là. Ce n’est même pas une question de cage, Neal l’a dit lui-même, et quand il aura fini de payer son dû à la société, rien ne l'empêchera de reprendre son envol et de laisser derrière lui la vie qu’il a construite pendant quatre ans.
Quatre ans, c’est probablement le plus long qu’il ait passé au même endroit, avec les mêmes personnes, depuis son adolescence, et il a fallu pour cela qu’il soit enchaîné par le lien invisible du bracelet-traceur à sa cheville, il a fallu que Peter le rattrape encore et encore à chaque fois que vacillait sa motivation à rester dans le droit chemin.
Il a essayé de lui montrer qu’un travail honnête, une vie simple, différente de celle qu’il a menée jusque-là pouvait aussi avoir leurs récompenses, que son habileté, sa curiosité et son sens du défi pouvaient être mis à contribution d’une cause plus noble que son simple plaisir personnel, qu’il pouvait être autre chose qu’un escroc. Il était même prêt à souhaiter que la relation entre Sarah et Neal fonctionne, que ce dernier ait une ancre volontairement jetée le gardant à Manhattan...
Mais Neal et Sarah n’ont pas tenu la distance, et il sait que ses arguments comme la menace de la loi ne sont pas toujours suffisants pour contrer les doux appels de la liberté ou des arnaques faciles. Ce sont les réflexes de toute une vie, mentir, dissimuler, monter des masques et jouer des rôles... Et malgré sa certitude de bien comprendre Neal, de savoir l’anticiper et voir au travers de ses mensonges, il se demande parfois jusqu’à quel point le persona que présente le jeune homme dans le cadre privé est une construction artificielle.
Faire confiance à Neal est un exercice de haute voltige dont il s’est toujours sorti à peu près indemne jusqu’à présent et qu’il ne peut s’empêcher de continuer à tenter malgré les risques pour sa carrière, les risques pour El comme pour lui... Et tout cela va être réduit à néant, maintenant que Neal est simplement libre de partir. Il est hypocrite de s’être battu pour sa réhabilitation, pour son droit à la liberté et d’avoir à présent des regrets, de vouloir garder Neal enchaîné pour son propre bien... Et c’est un paradoxe, le fait qu’il serait prêt à mettre sa vie entre les mains du jeune homme, mais qu’il ne lui fasse pas confiance pour ne pas retomber dans ses anciens travers s’il part - quand il partira.
Le crépuscule vient plus vite que Peter ne l’aurait cru. Neal se lève finalement, le tirant de son introspection, va nettoyer les derniers restes de crème dans la salle de bain et vider le pack de glace presque totalement fondue dans le lavabo.
Il avait décidé d’attendre, mais ils ont retourné des pierres, sous le soleil de plomb, et la peau de Neal était fiévreuse sous ses mains pendant qu’il appliquait l’émulsion. Il avait décidé d’attendre, mais peut-être le soleil lui est-il monté à la tête, car en cet instant précis, temporiser, refuser d’examiner ce qui a été mis à découvert lui semble une précaution ridicule, sans même la justification du reculer pour mieux sauter. Attendre n’apportera rien de plus, n’est qu’une petite lâcheté née de son anxiété plutôt que d’une raison valable...
« Que vas-tu faire quand ta sentence sera terminée ? »
La question fige un instant Neal dans ses ablutions, mais il se reprend, fini de se sécher sans se presser, avant de revenir s’appuyer dans l’encadrement de la porte. Les derniers rayons du soleil rasant font se découper sa silhouette sur l’obscurité de la salle de bain éteinte, le peignent en aplats crus d’ombre et de lumière qui gomment les rougeurs presque disparues de sa peau échauffée. Il pourrait être une composition de Hopper, songe Peter, brièvement.
« Je croyais qu’on ne parlait pas de ça », dit finalement Neal.
« Ça aurait probablement été une ligne de conduite plus efficace si tu ne m’avais pas donné des indices sur les arguments susceptibles de te faire rester...
- C’est toi qui a commencé », proteste le jeune homme avant de sembler réaliser la puérilité de cette ligne d’argumentaire. « Mais puisque tu insistes...
- Au besoin on pourra toujours plaider l’insolation », dit Peter, et l’offre inhabituelle aiguise l’attention de Neal, lui fait faire quelques pas de plus dans sa direction.
« Ça ne te ressemble pas, de laisser une ouverture comme ça. Normalement tu insistes qu’il faut assumer les conséquences de ses actions. »
Peter hésite à peine.
« C’est une exception. Et Neal, mon badge est resté dans ma veste », dit-il.
Neal laisse échapper un souffle silencieux, hoche la tête. C’est quelque chose qu’ils n’ont fait qu’une fois par le passé, parce qu’il n’y avait alors pas d’autre choix ; une amnistie temporaire. Peter laisse son badge et l’agent du FBI à la porte, n’est que Peter pour la durée d’une discussion. Et Neal en retour peut être franc, partager avec lui des choses qu’il ne pourrait pas lui dire en temps normal, sans crainte que rien de ce qu’il admet à demi-mot sur des crimes prouvés ou non soit utilisé contre lui...
Ça ne marche que sur la confiance, sans autre garantie que la parole de Peter, et il sait que Neal est conscient de la difficulté que cela représente pour lui pour lui, de laisser de côté son devoir et ses convictions, une si grande partie de ce qu’il est... Mais il est prêt à le faire, pour Neal, et cela, en plus la promesse qu’ils pourront choisir d’oublier la conversation si elle tourne mal, prouve à quel point il est sérieux.
« Jones ne va pas tarder », dit finalement Neal et Peter acquiesce sans un mot, quitte la pièce et traverse le couloir sans regarder en arrière s’il le suit.
Une fois dans la chambre individuelle Neal va se poster près de la fenêtre et contemple Peter pensivement, ses doigts contre ses lèvres, avec autour des yeux l’infime crispation indiquant qu’il est en train de réfléchir à l’angle d’approche le plus susceptible de lui permettre d’obtenir ce qu’il veut.
Mais Peter n’est pas prêt à se laisser manipuler, même de manière si béguine, et il ne laisse pas le temps à Neal de se regrouper.
« Que vas-tu faire quand ta sentence sera terminée ? », répète-t-il.
« Je n’ai pas encore décidé.
- Même si c’est le cas, tu as dû considérer tes options, non ? » Neal hoche la tête, méfiant, et Peter pousse son avantage. « Quelles sont-elles ?
- Tu le sais.
- Peut-être, peut-être pas. J’aimerais que tu me les dises, même celles que tu penses que je désapprouverais.
- Peter...
- Je n’ai pas mon badge, Neal. Je ne te le demande pas comme ton agent de probation, ou ton supérieur, ou même ton collègue. Je te le demande en tant qu’ami. C’est... important pour moi, pour nous.
- Si je te dis celles que tu désapprouves, tu te sentiras obligé de m’en empêcher.
- Si une fois libre tu commets le moindre crime, tu sais que je serai de toute façon celui qui te poursuivra et te remettra à l’ombre, Neal », énonce Peter doucement, en le fixant droit dans les yeux. « N'ai aucun doute là-dessus. Mais nous ne faisons que discuter de tes options, ce n’est pas un crime. Et si certaines d’entre-elles sont légalement douteuses, tu n’as pas à rentrer dans les détails. Quant à ce que je désapprouve... » Il hausse les épaules et laisse glisser l’aura d’autorité, met les mains dans les poches de son jean. « J’essaierai de te faire changer d’avis, mais tu seras un homme libre. Tant que tu ne feras rien d’illégal, tu sais que je ne pourrai pas te forcer à quoi que ce soit.
- Tu attendras juste que je mette un pied hors du droit chemin ? »
La question ne mérite pas de réponse et Peter se contente de hausser un sourcil, qui fait grimacer Neal en retour.
« D’accord, d’accord. Mais... ce ne sont que des options, tu sais, des possibilités ; c’est pour ça que tu m'emploies après tout, et ce n’est pas parce que je sais comment faire un truc, que j’ai passé du temps à y réfléchir, que je compte le faire. Certaines des options sont juste ça : des rêvasseries.
- Je suis prêt à te donner le bénéfice du doute.
- Je... Ok. Très bien. C’est une discussion qui mérite de l’alcool alors. Comme ça, à défaut de l’insolation, je pourrai toujours plaider l’ivresse... »
Peter lui adresse un regard entendu et va tirer deux bières du mini-frigo, ne peut s’empêcher de sourire devant la grimace horrifié que fait Neal quand il découvre l’étiquette.
« Pas de vin ? » demande-t-il d’un air penaud.
« Ce n’est pas l’Oriental, Neal. Estimes-toi déjà heureux qu’il y ait quoi que ce soit dans les frigos en plus d’une bouteille d’eau et de deux canettes de coca.
- Mais de la Bud ?
- Je sais que ça offense ta sensibilité raffinée, mais c’est ça ou rien. »
Neal soupire d’un air accablé, puis attrape la bière que Peter lui tend.
« Puisqu’il le faut. »



Laisser son badge de côté ne fonctionne que parce que Neal lui fait confiance, mais en retour il ne peut également que lui faire confiance pour jouer le jeu et ne pas garder certaines choses par devers lui.
Une fois les bières ouvertes, Peter s’assied sur le bord du matelas, tandis que Neal fait les cent pas le long du pied du lit, dans l’espace étroit entre porte d’entrée et fenêtre. Il commence par les options les plus positives du point de vue de Peter : rester logé chez June, trouver un boulot dans Manhattan. Soit continuer à bosser pour le FBI avec Peter en tant que consultant normal - la paye est meilleure que celle d’un consultant criminel, mais pas de beaucoup -, soit trouver du travail dans une galerie ou un musée ; utiliser le réseau de Sarah et les recommandations que Peter est prêt à donner pour pouvoir être investigateur chargé de la récupération d’oeuvres d’art volées pour des compagnies d’assurance ; autre chose, peut-être, auquel il n’a pas encore pensé.
Peter l’écoute sans presque rien dire, juste quelques encouragements pour le relancer quand il perd son inertie, ouvre une seconde bière quand la première arrive à son terme... C’est peut-être dû à la déshydratation, mais il a l’impression que l’alcool monte bien plus vite que d’habitude, bien plus fort. Même Neal lui semble plus ouvert que ce à quoi il s’attendait, choisissant ses mots soigneusement, mais aussi franc qu’il puisse l’être.
Les options suivantes sont moins du goût de Peter : faire la même chose dans une autre ville ou un autre pays, avec l’inconvénient objectif de ne pas pouvoir profiter aussi pleinement du réseau tissé pendant quatre ans, et celui, subjectif, d’être loin de Peter - ou d’un autre point de vue, de sa surveillance suppose-t-il, auquel cas ce n’est pas tant un inconvénient qu’un avantage...
Troisième tranche d’options : voyager avec Mozzie - sous-entendu : “profiter du magot illégalement amassé qui m’attend depuis quatre ans”. Dans cette voie se dessine aussi le spectre d’une rechute dans l’illégalité. Mozzie a peut-être bien des qualités et est un ami suffisamment fidèle pour surmonter sa méfiance profondément ancrée des Agents et de toute Organisation Étatique pour Neal, mais Peter n’a aucun doute sur le fait qu’il soit également une très mauvaise influence pour ce qui est de la non-organisation de vols ou d’arnaques en tous genres. La présence de Mozzie exacerbe leur tendance partagée à ne voir que les failles de sécurité à exploiter et des objets de valeur à “libérer” de leurs propriétaires plus ou moins légitimes quand ils regardent le monde... Tendance épaulée de beaucoup d’imagination, d’un sacré savoir-faire pour provoquer lesdites failles quand elles n’existent pas encore et d’une certaine disposition à créer leurs propres stimulations quand il ne se passe rien.
« Ce ne sont que des options », redit Neal, presque anxieux, comme s’il lisait dans l’esprit de Peter. Et ce dernier ne peut s’empêcher de penser à la manière dont son regard s’est éclairé quand il parlait de l’Europe au conditionnel, de Copenhague qu’il a visité avec Kate, trop brièvement, et qu’il aimerait bien revoir ; du nouveau département des Arts Islamiques du Louvre ; des donations récentes au Kunsthistorisches Museum, montrées au public pour la première fois depuis des générations et du bras qu’il serait prêt à donner pour pouvoir les contempler “en vrai”. Le monde est un terrain de jeu sans fin pour quelqu’un comme Neal, qui sait se donner les moyens de vivre la grande vie et se nourrit de l’excitation d’un cambriolage parfaitement planifié, du plaisir de déjouer ses adversaires, de tenir entre ses mains une pièce originale, de l’énergie d’un défi, qui a toujours besoin de quelque chose de nouveau, de différent. Et il est difficile de penser que Manhattan et le FBI aient mieux à offrir... Ou du moins c’est ce qu’il se dit pendant ses moments sombres. Le reste du temps, il sait exactement ce qu’il en est.
« Et laquelle de ces options à le plus de chance de t’apporter une carrière épanouissante qui ne se terminera pas à Supermax ?
- Tu as tellement confiance en toi », rit Neal.
« Et c’est une confiance fondée. Je t’ai capturé deux fois. N’espère pas te jouer de moi...
- Ce n’est pas ce que je voulais dire.” »
Ils ont allumé l’électricité quand il a commencé à faire trop sombre et l’ampoule jaune rend difficile de distinguer un rougissement sur la peau déjà irritée de Neal, mais son air brièvement embarrassé et la manière dont il penche la tête sont suffisants.
« Et que voulais-tu dire ?
- Tu es tellement sûr que je peux trouver ce qu’il me faut en restant honnête.
- Je ne t’aurais pas donné de seconde chance si ça n’avait pas été le cas, Neal.
- Je sais, mais... Tu t’es investi, tu as pris des risques pour moi, et si ça n’avait pas été toi, je ne sais pas si j’aurais pu... » Il sourit, à la fois bravade et embarras. « Et c’est... réconfortant, de savoir que si je brise les règles - si je dérape - tu seras là pour me rattraper avant que j’aille trop loin. Tu es presque aussi malin que moi, après tout....
- Et c’est l’un des “pour” de rester à Manhattan ? Le fait que je sois un garde-fou ?
- Tu sais que ce n’est pas- Je veux dire... En partie.” Il prend une brève inspiration, et relève le menton. “Mais globalement c’est juste toi, toi et Elisabeth, qui m’avez ouvert votre maison, votre vie... La manière dont on fonctionne ensemble au boulot et en dehors, ton intelligence, ton intensité, même ta rigueur, les risque que tu es prêt à prendre pour moi... Et ce n’est pas - ce ne serait pas de la maltraitance, avant que tu poses la question. »
Les yeux de Neal sont très bleus alors qu’il soutient son regard en silence, qu’il le laisse retourner et analyser ce qu’il vient de dire, de sous-entendre. Peter est presque sûr de ne pas se tromper. Il y a les mots de Neal, mais aussi tout le reste, presque quatre ans de proximité, tout un vocabulaire de regards et de mouvements avortés, d’impressions fugaces qui prisent individuellement ne prouvent rien, mais qui toutes ensemble justifient –peut-être - le risque qu’il s’apprête à prendre.
« De ton point de vue peut-être », répond-t-il finalement en s’efforçant de masquer son anxiété soudaine, de rester posé. « Mais tant que tu portes le bracelet c’est le point de vue du FBI qui prime. Et même en-
- Pas le tien ? » Neal ne l’a même pas laissé finir, s’engouffre dans la faille avec un empressement qui désarçonne Peter. « Oublie le FBI un instant. Je veux savoir ce qu’il en est selon tes critères à toi. »
C’est du Neal tout craché que de lui retourner sa propre question, mais c’est aussi franc-jeu que d’exiger de Peter la même honnêteté que ce dernier lui demande...
« Si tu restes, je voudrais que ce soit pour la vie que tu as construite à New York, pas pour une relation incertaine. Rester uniquement pour- pour nous, ça ne serait pas sain, ça voudrait dire que si ça ne marchait pas, tu n’aurais pas d’autre raison de continuer à... Ce serait mettre tous tes oeufs dans le même panier, et tu sais aussi bien que moi que c’est quelque chose que tu ne pourrais pas supporter longtemps. »
Neal a l’air saisi par sa tirade, s’est immobilisé contre le mur, tête penchée, une expression indéchiffrable sur le visage.
« Nous ? »
Peter hausse les sourcils, se lève.
« Que croyais-tu ? Qu’El n’est pas au courant ? Que ce n’est qu’une passade, que je pourrais tromper ma femme ? »
Neal devient blanc comme un linge, soit en se rendant compte de ce que sa question sous-entendait, soit face à la pointe de colère sensible derrière l’éclat de Peter, une colère rare, qui n’avait jamais vraiment été dirigée contre lui.
Il ne réagit pas quand Peter franchi en un pas la distance qui les sépare, le saisit avec fermeté par la mâchoire en prenant soin d’éviter son oeil au beurre noir.
« Qu’est ce qui a pu te donner l’impression que je pourrais seulement envisager... ça, si Elisabeth n’était pas au courant, n’avait pas insisté encore et encore que ça valait le coup d’essayer, que tu valais la prise de risque ? Ce n’est pas un caprice, Neal. Pour l’amour du ciel !
- Je suis désolé”, balbutie le jeune homme, et Peter se sentirait peut-être un peu coupable si le bleu de ses iris n’était pas presque entièrement obscurci par ses pupilles dilatées, s’il ne pressait pas de manière infime son visage contre la main de Peter. « Ce n’est pas ce que je voulais dire, c’est juste que je n’étais pas sûr jusque-là, et nous... Ça le rend réel, et - votre couple, vous êtes... »
C’est une rareté que de mettre Neal à court de mots, et Peter s'adoucit, relâche sa prise. Ils restent un instant face à face à se regarder, pris dans l’intensité du moment, avant que Peter ne se détourne avec un « ne bouge pas » murmuré qui laisse le jeune homme figé où il se trouve, indéniablement empourpré et luttant pour masquer son souffle court.
Il revient à la tête du lit, décroche le combiné du téléphone de l'hôtel et tape le numéro de sortie suivit de celui du portable d’Elisabeth, de mémoire. Elle répond à la deuxième sonnerie.
« Elisabeth Burke, bonsoir.
- Bonsoir, chérie.
- Mon coeur ? Qu’est-il arrivé à ton portable ?
- Un bain forcé. Ne t’inquiète pas, nous allons bien, même si Neal est un peu cabossé. Mais c’est à propos de ça que je t'appelle. Lui et moi avons eu une discussion, et j’aimerais l’inviter à venir dîner à la maison demain soir, ça t’irait ? »
Il y a une pause, et parce que Peter adore sa femme, sa réponse est :
« Bien sûr, je vais me libérer. Mais mon coeur, tu es certain que ça va ? Je croyais que tu voulais attendre.
- Non, tu avais raison, il vaut mieux mettre cartes sur table, et je me rends compte que c’est une conversation à laquelle il faut que tu sois présente... Certaines choses ne sont pas aussi claires que je le pensais.
- Oh, Peter...
- Je sais, je suis désolé.
- Mon coeur, nous en avons parlé et tu connais mon avis sur la question... Mais je n’étais pas sûre que tu serais jamais prêt à aborder le sujet avec Neal. Évidemment que je ne t’en veux pas s’il se trouve que tu étais en Alabama quand tu t’es senti prêt à te jeter à l’eau - sans mauvais jeu de mot. »
Peter étouffe un éclat de rire ridicule, subitement rasséréné. Ferme les yeux.
« Tu es la femme la plus exceptionnelle que j’ai jamais rencontrée, et je m’émerveille tous les jours que tu aies accepté d’être mon épouse. »
Il peut l’entendre sourire à l’autre bout du fil.
« Tu n’es pas un si mauvais parti non plus, Peter Burke. Tu es sûr que ça va aller ?
- J’en suis certain.
- Très bien. Passes-moi Neal alors. »
Peter fait signe au jeune homme de s’approcher et lui tend le combiné, que Neal prend avec à peu près autant de méfiance que s’il s’agissait d’un serpent venimeux. Son dos est raide comme une planche, et quoi que lui dise El, il répond d'abord par monosyllabes, puis par un « Non ! » plus vigoureux, avant de sourire et de se détendre progressivement. Lorsque qu’il repasse le téléphone à Peter, il a regagné son aisance habituelle et s’est même risqué à une plaisanterie.
« El ?
- Je vous aime tous les deux, mais parfois il n’y en a pas un pour rattraper l’autre », soupire-t-elle avec une fausse grandiloquence qui lui fait lever les yeux au ciel.
« Je trouve qu’on ne s’en est pas trop mal tiré...
- Je sais mon coeur, et je suis fière de toi. De vous deux... Ça n’a dû être facile ni pour l’un ni pour l’autre. Tu me raconteras ?
- Promis.
- Je vous laisse alors. A demain soir mon amour.
- Je te rappellerai d’ici là.
- D’accord. Je t’aime.
- Je t’aime aussi, ma chérie.
- Et arrête d’essayer de séduire Neal avec la stabilité de notre couple. Je pense que le message est passé. Bonne nuit, mon coeur. »
Et elle raccroche, laissant Peter contempler un moment le combiné avec ce sentiment d’émerveillement vaguement ahuri dont il ne se lasse pas - parce que maintenant qu’Elisabeth l’a dit, il se rend compte que oui : essayer de prouver à Neal la solidité de leur relation est exactement ce qu’il était en train d’essayer de faire inconsciemment.
Neal est un romantique après tout et il a toujours considéré la relation entre Peter et El avec un mélange à peu près égal d’envie et d’admiration... Et malgré leur accrochage précédent, il sait que le jeune homme ne tenterait probablement jamais rien s’il pensait que ça risquait de mettre en danger leur mariage. Le rassurer sur ce point-là ne peut qu’augmenter les chances qu’il dise oui...
Il a été périphériquement conscient de la présence de Neal durant toute la durée du coup de fil, mais à présent ils se font face et Peter se sent maladroit et emprunté, du moins jusqu’à ce que Neal soupire et lui coule un regard en dessous tout en mettant ses mains dans ses poches.
« Et maintenant ?
- Maintenant tu mets tes chaussures et on va manger. On poursuivra cette conversation demain soir. »
Neal hoche la tête, l’air à la fois anxieux et soulagé.
« Neal, El à dû te le dire, mais laisses-moi te le répéter : tu n’as pas à décider maintenant, et venir dîner ne t’engage à rien. Tu n’es même pas obligé de venir manger à la maison demain soir si tu ne le veux pas.
- Je sais. Mais je le veux. Je... J’en serai ravi. »
Peter met les mains dans ses poches. A présent qu’il a une course d’évènements planifiée il se sent plus serin, plus solide... et il ne pense pas beaucoup s’avancer en diagnostiquant qu’il en est de même pour Neal.
Le choix ne lui appartient pas, au final, mais à la manière dont le jeune homme a réagi, il a bien meilleur espoir que la veille... Et surtout El sera avec eux, demain. Peter est un homme pragmatique : il connaît ses forces, ses faiblesses, et il n’a aucun doute sur le fait qu’elle sera bien plus à l’aise que lui pour gérer la situation, pour dire ce qui doit être dit et décrypter ce que Neal ne dit pas forcément...
Onze ans de mariage, et il a presque l’impression de se retrouver le jour où il a demandé la main d’Elisabeth avec la certitude qu’elle était la femme de sa vie ; mais pas moins dépassé et nerveux pour autant. Il ne s’était pas trompé, suppose-t-il, mais c’était sans compter Neal. Plus le temps passe, et plus il réalise qu’un grand nombre de choses évidentes dans sa vie l’étaient “sans compter Neal”.
Mais assez réfléchi. Demain viendra bien assez tôt.
« Très bien. Je m’occuperai de prendre les billets pour New York en rentrant de dîner. Jones doit être rentré. Je crois que dans les environs immédiats on a le choix entre une pizzeria et un resto de burger. Des préférences ?
- Italien. »
Peter ne peut s’empêcher de sourire et hoche la tête.
« J’ai dit des pizzas... Italien est probablement un qualificatif un peu audacieux... Mais va pour la pizzeria. On se retrouve d’ici dix minute dans le lobby ?
- Pas de problème », acquiesce Neal en s’arrêtant un instant dans l’encadrement de la porte. Il hésite un instant, puis sourit d’un sourire qui ne déparerait pas chez un chat ayant obtenu et le lait, et les caresses de la crémière. Et malgré sa brièveté avant qu’il ne se détourne, l’expression fait naître dans l’estomac de Peter une nuée de papillons absolument indignes d’un agent du FBI.
« A tout de suite, Peter. »

Post a comment in response:

This account has disabled anonymous posting.
If you don't have an account you can create one now.
HTML doesn't work in the subject.
More info about formatting